• Chapitre 1 : Risia Pofi

    Plongée dans l'incertitude de son passé, elle est privée non seulement d'un nom de famille, mais même de l'existence d'une famille tout court. On lui a murmuré que ses parents ont succombé à la famine et à la misère et qu'ils ont supplié les maîtres des Halosimas de la prendre sous leur aile en tant que nouvelle servante. Ces maîtres, les Joyu, offrent à la jeune fille à ses cinq ans un nouveau nom : Pofi. Mais pour elle, le passé est une brume opaque, qui efface jusqu'à son nom d'origine. On la nomme Spariel, bien que la simple prononciation lui soit un défi insurmontable : chaque « s », chaque « p » et chaque « r » restent coincés dans sa gorge.

    Pourtant, dans ce labyrinthe de confusion, une lueur d'identité brille. La bonne Dame du domaine lui confie un secret trois années après son inclusion dans le domaine, lui révélant que son véritable nom est Risia. Une révélation aussi troublante que troublée, car elle est identique à celle que le couple a prétendu morte. Ses yeux bleus, ses cheveux noirs et son teint mielleux ne laissent aucun doute sur son lien avec cette enfant fantôme. Est-elle une cousine oubliée, ou bien le souvenir vivant d'une tragédie silencieuse ? Les réponses semblent se dissoudre dans le silence de la domestique. Ils emportent avec elles le mystère de son identité.
    Même le simple son de son prénom d'origine, Risia, semble se coincer dans sa gorge, mais elle l'a adopté avec une certaine fierté. Seule la bonne Dame, qui est également sa nourrice, obtient le privilège de l'appeler ainsi. Pourtant, chaque fois que les gens entendent son nouveau nom de famille, Pofi, ils éclatent de rire, affirmant que ce nom la rend encore plus ridicule, la qualifie de pauvre fille. Perdue dans les méandres de la société, la jeune fille brune ne comprend pas pourquoi on se moque ainsi de son nom de famille.
    Son unique compagnon dans ce monde d'indifférence est un chien de berger du nom de Balto. Un patou au cœur tendre, aussi doux qu'un agneau, aux yeux perçants comme de la glace, tel un protecteur fusionnel, malgré son apparence imposante. Autrefois abandonné, il erre dans les alentours du domaine. Seuls les passants généreux lui offrent un peu de nourriture. Balto semble avoir un lien spécial avec Risia, comme s'ils se connaissent depuis une éternité. Parfois, elle le voit ouvrir et fermer la gueule à plusieurs reprises, dans ce que les autres appellent des aboiements. Même si cela puisse être nuisible à sa santé, elle aurait aimé entendre ces sons, ne serait-ce que pour sentir une once de compagnie. Dans ce monde où elle est reléguée au grenier poussiéreux du domaine, son unique refuge, elle trouve un peu de réconfort dans une petite lucarne qui la relie au monde extérieur.

    Chaque matin, lorsque Risia émerge de son lit de paille, elle contemple le vaste jardin du manoir, une oasis de beauté dessous un ciel ennuagé. Au-delà de cette oasis, dans les rues de la ville, des monstres de métal cubiques, qu'on appelle des véhicules, s'agitent incessamment. Les maisons, dont certaines atteignent trois étages, ondulantes et serrées les unes contre les autres comme des sardines dans une boîte, semblent oppressées par l'agitation de la vie citadine. Plus loin encore se dresse la place du marché aux milles couleurs rappelant les milles épices d'un lointain pays exotique, toujours grouillante d'activité jusqu'à l'apparition de la lune. Derrière cette place s'étend une grande forêt dense, barrière naturelle qui sépare la civilisation du mystère. Cette forêt est sombre, ses arbres d'une teinte étrange de violet, personne n'ose s'y aventurer. On murmure qu'elle est maudite, qu'elle est un lieu de terreur et de mort. Les légendes prétendent que des créatures sans pitié rôdent entre ses branches et que ses arbres chantent des mélodies funestes à la lumière de la lune. On raconte même qu'elle est le tombeau des âmes perdues, un royaume de cauchemars et de désolation.

    Dans le passé semble-t-il, un chevalier, au service du 1er Prince Joyu, s'est enfoncé dans cette forêt, en quête d'une fleur légendaire : la fleur de la Lune, dit-on, qui pouvait accorder l'immortalité à celui qui la possède. Depuis sa disparition mystérieuse, son âme est censée hanter les bois chaque mois de novembre. Pendant que les ombres de la légende planent sur la forêt maudite, Risia s'occupe aujourd'hui de ses modestes tâches domestiques, couds avec soin un mouchoir de dentelle pour l'unique fils des Joyu. Ce jeune garçon, âgé de sept ans, blond aux yeux noisette, est le seul à ne pas la mépriser pour sa condition. Mais une question reste suspendue dans l'air, chaque soir : « Spariel, sais-tu qui tu es vraiment ? ». Une interrogation qui hante son esprit, une quête de vérité qui ne semble jamais trouver de réponse. Elle se rappelle un temps où des mots acerbes d'un vieil homme, lancés comme des flèches empoisonnées, résonnent encore dans l'esprit de Risia.

    « Comment peux-tu être sourde et nous comprendre ?

    Et si je te cachais

    mes lèvres,

    mon visage,

    resterais-tu intelligente ? »

    « Pourquoi Yulla t'a-t-il donné

    cette faculté et pas à nous ? »

    Des questions cruelles qui martèlent son âme déjà meurtrie. Mais malgré la brutalité de ces paroles, elle se demande elle-même comment elle parvient à survivre dans ce monde hostile. Est-ce un instinct de survie, une volonté farouche de vivre malgré tout ? Il était une nuit, dans le silence de ses pensées, lorsque la bonne Dame, devenue nourrice du Fils Joyu, lui offrait un pendentif en forme de croix, un geste empreint de compassion et de tendresse.

    ─ Que Yulla vous protège, ma chère Risia, lui a-t-elle murmuré. Vous êtes ma seule héritière.

    Malheureusement, lors d'un petit matin, elle découvre l'amère vérité : son geste de générosité a scellé son destin. Devant une foule silencieuse, elle est pendue, son innocence sacrifiée sur l'autel de l'ignorance et de la cruauté, accusée de désobéissance grave. Chaque nuit depuis, dans l'obscurité de son exil, elle prie pour que l'âme de la nourrice trouve la paix éternelle, remerciant pour ce premier et ultime cadeau de sa vie. Pour certains, ce pendentif n'est rien de plus qu'un bibelot sans valeur, mais pour elle, c'est un trésor inestimable, un rappel de la bonté et de l'humanité qui brillent parfois dans les ténèbres de son existence. Elle se rappelle ses conditions réelles. Elle sort de ses rêveries et range soigneusement sa boîte de couture, puis se glisse sous sa couverture en lin.

    Un après-midi, une liste lui est remise, ordonnant silencieusement sous plusieurs gestuels qu'elle se rende au marché pour acheter des fruits et des légumes. Sans protester, elle quitte le domaine, accompagnée de Balto qui l'attends fidèlement à l'entrée du portail, veillant sur elle comme un ange gardien. Alors qu'ils cheminent ensemble, Risia se surprend à engager une conversation avec son compagnon canin.

    ─ J'aimerais bien savoir comment tu es devenu exactement borgne, murmure-t-elle doucement.

    Balto répond d'un simple aboiement amer, néanmoins l'histoire de son œil manquant était bien plus complexe que ce simple aboiement. On raconte en effet que ce fidèle chien a perdu son œil dans un accident tragique, survenu dans une cuisine d'un pavillon voisin. Un couteau aurait dégringolé sur lui, le blessant grièvement. Cependant, la nourrice, gardienne des secrets, possède une version différente de cette histoire. Selon elle, Balto a été le défenseur courageux de la première fille des Joyu, se sacrifiant pour la protéger des griffes de la mort à une certaine époque. Quelqu'un a tenté de la tuer, mais Balto s'est interposé, prenant le coup fatal dans l'œil. Mais elle n'a jamais révélé l'identité du coupable, gardant ce sombre secret enfoui au plus profond de son tombeau. Risia s'approche du marché, s'intègre silencieusement dans le mouvement incessant de la ville. L'air vibre, l'air hume. Un cocktail d'odeurs d'écurie, d'épices, de la transpiration, étouffe celle de son stand de fleuriste préféré, indiquant l'entrée du marché. Avec une calme détermination après plusieurs pas, elle sélectionne avec soin les fruits et les légumes demandés, ignorant les regards méprisants et les murmures venimeux qui se tordent autour d'elle. Du haut de ses onze ans, elle peut très bien ressentir le poids de leur jugement sur ses épaules, mais elle refuse de se laisser abattre par leur méchanceté. Elle contemple le stand de fleurs avec une tentation presque insoutenable. Comment résister à l'appel des centaines de marguerites, ses fleurs favorites ? Alors qu'elle est sur le point de céder à cette tentation, un jeune garçon roux, coiffé d'un béret rouge, s'empare de l'anse de son panier avec une joyeuse malice, le faisant glisser de ses mains. Tandis que le garçon rit et s'enfuit à travers la foule, Risia reste immobile, déterminée à ne pas laisser cette contrariété la submerger. Elle se persuade que cet acte est un avertissement, l'empêchant de commettre un acte répréhensible.

    Après un long soupir, utilisant sa robe comme un sac improvisé, elle ramasse les maigres fruits tombés. Au même moment, Balto se lance à la poursuite du garçon, sa langue flottant dans l'air, ses oreilles battant la mesure de sa course effrénée. Risia exclame son nom, mais le chien semble déterminé à rattraper le petit voyou. Prise entre l'envie de garder ses maigres consommations et celle de suivre son fidèle compagnon, elle se résout finalement de le suivre dans sa course. Ils quittent la place du marché, franchissent une avenue principale puis le seuil qui sépare la civilisation de la sombre lisière de la Forêt Maudite. Alors que Balto disparait entre les arbres sans hésitation, Risia ressent une profonde appréhension grandissante. Pourtant, elle ne peut se résoudre à perdre son ami. Persuadée que la forêt est sûre et que les légendes de la malédiction ne sont que des superstitions, elle s'engage à son tour sur le sentier obscur, ignorant les murmures inquiétants de l'ambiance qui semblent s'élever des profondeurs des bois. Elle avance lentement, ses pas silencieux dans la forêt immobile. Chaque feuille froissée sous ses pieds, chaque craquement qu'elle ressent, lui rappellent sa solitude. Soudain, une entité fuse entre ses jambes, l'effrayant au plus profond de son être. Son visage se fige de terreur alors qu'elle se recroqueville, cherchant désespérément un abri contre l'obscurité croissante de la forêt. Risia scrute les ténèbres environnantes et cherche frénétiquement la source. Des yeux rouges brillent dans l'obscurité. La peur s'empare d'elle alors qu'elle se met à courir à l'aveugle, ses pas s'emmêlant dans les racines et les branches tordues des arbres qui semblent se moquer d'elle. Soudain, une sensation étrange ébranle ses oreilles. Un son, si faible est-il, perce le silence. Un frisson d'espoir mêlé d'inquiétude parcoure son être. A-t-on menti sur sa surdité ? Est-il possible qu'elle puisse réellement entendre ? Mais si c'est le cas, pourquoi n'a-t-elle jamais entendu le cri de son fidèle compagnon auparavant ?
    Le son mystérieux se transforme en une mélodie mélancolique, douce et envoûtante, comme on lui a-t-on décrit bien quelquefois auparavant. C'est une révélation, une expérience nouvelle et merveilleuse pour elle. Sans plus réfléchir, elle se met à suivre la mélodie avec une détermination renouvelée, ignorant les obstacles qui se dressent sur son chemin, indifférente à la douleur qui lui mord la peau. Le sol craque sous ses pieds, les feuilles mortes voltigent dans son sillage alors qu'elle coure jusqu'à épuisement, toujours plus vite, happée par le son envoûtant qui la guide à travers les méandres de la Forêt Maudite. Seuls les battements sourds de son cœur résonnent en écho avec la mystérieuse mélodie, créant une symphonie envoûtante et intrigante qui enveloppe tout son être dans un voile de mystère.

    Quelques minutes plus tard, Risia émerge, essoufflée, dans un vaste espace baigné de lumière, ralentissant son allure précipitée. Elle tente de calmer sa respiration haletante, sa gorge sèche brûle d'une soif insatiable. Sous ses pieds nus, l'herbe tendre lui caresse la peau, une sensation exquise après avoir foulé le sol dur et hostile de la forêt. Son regard tombe sur des empreintes de chien marquées dans la boue, et elle les suit instinctivement des yeux. Soudain, elle croise le regard perçant d'un homme aux traits étrangement beaux, dont les oreilles pointues et les cheveux blonds, semblables à des épis de blé, contrastent avec sa peau au teint sable doré. Ses yeux Hazel la fixent intensément, captivant son attention. Une pensée incongrue traverse l'esprit de Risia : depuis quand un humain a-t-il des oreilles pointues ? Le manque de souffle lui donne-t-il des hallucinations, au point de voir des oreilles si étrangement sculptées ? Malgré cette confusion, elle se sent inexplicablement attirée par cet être mystérieux. Un silence lourd s'installe entre les deux êtres, chargé d'une étrange tension. Un souffle d'alizé vient effleurer leurs joues, ajoutant une touche de magie à cet échange silencieux. Pour Risia, cet homme est à la fois magnifique et énigmatique, une créature à la fois familière et étrangère, si humain à la fois. Pourtant, malgré sa beauté indéniable, l'homme semble se méfier de l'apparence étrange de Risia, de son manque d'oreilles pointues et de ses yeux bleu clair. Cette méfiance se lit dans ses yeux, teintée d'une fascination mêlée de prudence. L'homme est assis sur une roche géante parsemée de mousse verte. Cette roche, unique et éclairée par les rayons filtrés de la forêt, semble revêtir une importance particulière, comme un trône dans cet étrange royaume de verdure. Ses nuances subtiles dévoilent des teintes mystérieuses, mêlant le vert de la mousse à des reflets violets, conférant à l'ensemble un aspect à la fois majestueux et envoûtant.

     Ses nuances subtiles dévoilent des teintes mystérieuses, mêlant le vert de la mousse à des reflets violets, conférant à l'ensemble un aspect à la fois majestueux et envoûtant

    Laréalité semble rattraper brusquement l'homme, le faisant sursauter de panique.Dans un geste instinctif, il fourre précipitamment son instrument de musiquedans un sac en peau de bête, prêt à s'enfuir. Risia, instinctivement, se met àcourir après lui, déterminée à découvrir qui il est. Lorsqu'elle le rattrape,elle attrape le col de sa chemise verte, le faisant tomber lourdement sur elle.Déconcerté, l'homme se retrouve écrasé contre le sol tandis que Risia, avec un sourire empreint de gentillesse, s'excuse en le regardant. Balto, le gros chien, s'approche alors joyeusement, sa queue battant l'air avec excitation et se met à lécher le visage de l'homme avec enthousiasme. Cependant, plutôt que de recevoir cette marque d'affection avec gratitude, l'homme, pris de dégoût, se relève précipitamment et se plaque contre un arbre, son regard reflétant une panique grandissante. Sous l'emprise de la panique, il prononce des mots empreints d'insulte.

    ─ Qui êtes-vous, sale humaine ? continue-t-il.

    ─ Hum... Dézolée..., répond-elle désemparée, ses mots se bousculant dans sa bouche presque muette.

    ─ Sors d'ici ou tu auras des ennuis ! crie-t-il d'une voix crispée sur la défensive.

    Perdue dans cette étrange végétation, Risia se retrouve avec Balto dans ses bras, cherchant désespérément à suivre l'homme qui vient de s'échapper. Il se dissipe rapidement dans l'obscurité, laissant Risia seule dans ce coin étrange de la forêt. Son cœur bat la chamade, son esprit tourmenté par l'inquiétude. Elle jette un regard anxieux autour d'elle, chaque ombre semble se mouvoir, chaque bruissement de feuilles la fait sursauter. Balto se débat dans ses bras, semblant ressentir la même angoisse.

    Alors qu'elle scrute fébrilement les environs après de longues minutes, une silhouette émerge timidement de derrière un arbre, laissant entrevoir l'homme énigmatique. Risia frissonne de peur, mais son instinct la pousse à rester immobile. L'homme s'approche lentement, se mouvant à quatre pattes, traînant sa sacoche derrière lui. Il sépare Balto de ses bras, comme s'il est jaloux de leur étreinte, puis pose doucement ses mains sur ses propres oreilles, fermant les yeux dans une gestuelle familière.

    Un éclair de souvenir traverse l'esprit de Risia, une image fugace d'une lumière verte émanant d'une main ridée, accompagnée du souvenir d'un dragon bleu. Des fragments de mémoire surgissent, mais elle ne parvient pas à les assembler. Elle observe l'être avec curiosité alors qu'il rouvre les yeux, émerveillé. Puis, une voix résonne dans sa tête.

    Vaïs Orëdien ?

    Risia le regarde à nouveau, l'homme garde le silence. Une voix persistante résonne à nouveau.

    Vaïs Orëdien ? C'est moi qui te parle en face, là. Ou tu ne comprends plus ta langue ?

    Inquiète, Risia recule. L'homme tend une main tremblante vers elle, manifestement effrayé, bien qu'il la défie du regard. Pourquoi cherchent-ils à s'approcher l'un de l'autre alors qu'une aura de peur les entoure ? Simple curiosité ? La voix résonne une fois de plus.

    Viens. Tu es dans un triste état. Je vais te soigner. Nous discuterons plus tard. Par les Ethéraldines...

    Elle se relève péniblement, confrontée à l'homme aux oreilles pointues qui se tient devant elle. L'homme est plongé dans son émerveillement qui trahit sa perplexité : comment une humaine sans-oreilles a-t-elle pu survivre ? Il connaît les récits où les humains éliminent impitoyablement les plus faibles. Il avance prudemment vers elle, les mains tendues en signe de paix, cherchant à l'apaiser. Méfiante, elle adopte une posture défensive et refuse toute approche d'un signe de tête. Soudain, une douleur aiguë transperce son flanc, la faisant crier de souffrance. La créature, qui ressemble étrangement à un humain, pousse également un cri. Elle s'effondre au sol, tandis que l'homme étrange tente de la réconforter, tapotant doucement ses joues. Sa vision se trouble alors que la douleur l'envahit, et elle sent le liquide chaud et rouge se répandre sur ses mains. Dans son étourdissement, elle aperçoit les sabots boueux d'un cheval blanc passer à proximité. Puis, deux jambes viennent se poser près d'elle, chaussées de bottes de cuir noir. Elle distingue le jeune homme hurlant sur un autre, semblable à lui mais plus imposant, aux longs cheveux blonds fumés. Malgré tout, elle n'a pu identifier son visage. Épuisée, elle laisse sa joue droite se poser sur l'herbe fraîche et ferma les yeux, laissant l'obscurité l'envahir.

    **

    Plusieurs instants plus tard, une douce main caresse son front. Elle ouvre les yeux, pensant d'abord que c'est toujours l'homme aux oreilles pointues. Cependant, elle est surprise de découvrir une belle femme aux longs cheveux châtains rappelant le cuivre, ses oreilles pointues se dévoilant entre ses mèches raides. Les grands yeux transparents de la femme se plongent dans les siens, ses lèvres fines et rosées remuent doucement. Puis, elle détourne la tête et fait signe à quelqu'un que l'humaine ne peut pas voir. Cherchant la créature masculine, elle constate qu'il a disparu. Observant la pièce autour d'elle, elle remarque les murs gris et sales, construits avec des rochers empilés les uns sur les autres, tandis que le toit est couvert de paille. Elle se rassoit, prenant conscience que le lit n'est pas confortable et que sa couverture blanche est ternie par le temps. Perdue dans un tourbillon d'interrogations, Risia s'efforce de percer le mystère qui l'entoure. Où l'a-t-on emmenée ? Pourquoi est-elle ici ? L'étrange atmosphère de cet endroit titille sa mémoire, évoquant étrangement la quiétude de sa chambre, nichée au fin fond du grenier du domaine des Halosimas. Malgré l'obscurité qui règne, elle sent une lueur familière éclairer son esprit, comme si une part de son passé se manifeste à travers ces murs de pierre rugueuse.

    Se levant avec précaution, la jeune femme se rend compte qu'il n'y avait rien dans cette pièce sombre, à part le lit sur lequel elle repose. Lorsqu'elle sent la couverture glisser lentement de sa poitrine, elle rougit violemment, saisissant prestement le tissu pour se recouvrir jusqu'au cou, soulagée qu'aucun regard indiscret ne soit posé sur elle. Se demandant où elle peut bien se trouver, elle descend prudemment du lit, enveloppée dans la couverture. S'approchant de l'unique sortie dépourvue de porte, elle est ensuite aveuglée par une lumière éclatante, qu'elle tente de dissiper en couvrant ses yeux de sa main.

    Une fois à l'extérieur, un vaste pré s'offre à ses yeux, ses pieds se perdant dans l'herbe verte et douce, tandis que les fleurs roses des arbres majestueux, voisins de la cabane, ondulent gracieusement au gré du vent. La neige recouvre le sol tel un sucre en poudre, apportant une fraîcheur bienvenue malgré la hauteur du soleil dans le ciel. À l'horizon, un imposant bâtiment blanchâtre aux arcades argentées, orné d'une tour à chaque coin de sa façade, scintille sous les rayons dorés du soleil. Émerveillée par cette vue saisissante, elle reste béate d'admiration. Pourquoi tout ici est-il si enchanteur, si différent de l'endroit morne et pollué où elle vit ? Se pinçant pour vérifier si elle ne rêve pas, elle se retourne et aperçoit la jeune créature presque humaine qui l'a tirée de son sommeil, tenant soigneusement dans ses bras sa robe grisâtre et ses sous-vêtements lavés. Balto, le gros chien, jappe joyeusement autour d'elle. Souriant de gratitude, Risia avance pour récupérer ses affaires, mais est stoppée dans son élan lorsque le chien se précipite et se mit à lui lécher les jambes de l'inconnue avec entrain. Dégoûtée, celle-ci tente de le repousser tout en maintenant fermement la robe de domestique de Risia contre sa poitrine. Lorsque l'enfant parvient en face de la créature, qui est occupée à repousser le chien, elle lève doucement son doigt pour attirer son attention. À peine son doigt effleure-t-il la peau de la créature que, au lieu d'une expression de gratitude, elle fut accueillie par une grimace de dégoût. La jeune fille se sent déconcertée par cette réaction inattendue. Elle se demande ce qui pouvait bien causer une telle répulsion chez cette créature. Est-ce son apparence ? Sa peau ? Ou bien quelque chose d'autre qu'elle n'arrive pas à comprendre ? Peut-être doit-elle essayer de mieux comprendre ce qui se passe ici avant de tirer des conclusions hâtives ?

    Tout à coup, dans un tourbillon d'événements inattendus, l'humaine aux oreilles pointues projette les vêtements de Risia au loin, la gifle avec une intensité troublante, puis lui agrippe les épaules avec une force déconcertante, la soulevant du sol avec une aisance déconcertante.

    ─ Hors de notre territoire, sale Humaine ! Si tu oses prolonger ton séjour ici, tu seras supprimée !

    Les mots, porteurs d'une menace obscure, résonnent dans l'air chargé de tension. Relâchant Risia sans détacher son regard, l'inconnue arbore une expression empreinte d'une hostilité glaciale. Prise de panique, Risia recule à pas feutrés, scrutant avec appréhension cette étrange créature aux oreilles pointues. L'espace d'un instant, le rêve semble se transformer en un cauchemar oppressant, alimenté par une aura de haine palpable émanant de l'inconnue. Ses cheveux flottent gracieusement au gré d'un vent soudain et violent, accentuant la dramaturgie de la scène.

    ─ C'est à cause de vous que nous sommes plongés dans la misère ! C'est à cause de vous que j'ai été privée de ceux que j'aime !

    Perdue dans un océan de perplexité, Risia peine à saisir tous les mots prononcés par la créature de forme humaine, mais l'intonation chargée d'émotion ne laisse aucun doute quant à la gravité de ses paroles. Risia se sent complètement perdue, incapable de comprendre le sens des paroles prononcées par la créature aux oreilles pointues. Aucun son ne parvient à ses oreilles malgré les vibrations graves, plongeant son esprit dans un abîme de confusion. Son fidèle compagnon réagit à son tour, pris de panique, s'enfuit parmi les arbres, laissant derrière lui une traînée d'angoisse dans le cœur de Risia.

    Ses cheveux sombres s'agitent frénétiquement autour d'elle, tandis qu'elle agrippe fermement sa couverture pour empêcher le vent de l'emporter. Soudain, la scène prend fin brusquement. La créature reste figée sur place, son regard empreint de surprise laissant transparaître un brin de regret, puis elle s'incline respectueusement. Un souffle chaud caresse la nuque de Risia, lui faisant dresser les poils sur la peau. Une main se pose sur son épaule gauche, lui arrachant un mouvement de recul instinctif. Face à elle se tient un jeune homme aux oreilles pointues, semblable à la créature rencontrée dans la forêt. Derrière lui, un groupe de soldats, revêtus d'armures étincelantes représentant un faucon à quatre pattes, déployant ses ailes. Les soldats observent la scène. L'étranger, aux yeux hazel étincelant, la dévisage avec surprise, avant d'éclater discrètement de rire, suivi par ses camarades qui peinent à contenir leur amusement.

    Risia, malgré son état de confusion, parvient finalement à reconnaître le soldat aux oreilles pointues. C'est lui, l'homme qu'elle avait rencontré dans la forêt ! Cette découverte la plonge dans un tourbillon de perplexité encore plus profond. Comment peut-il être à la fois cet étrange être de la forêt et un soldat royal ? Les regards curieux et amusés des autres soldats contrastent avec la gravité de la situation pour Risia. Elle est désemparée, les questions se bousculent dans son esprit sans qu'elle trouve le moindre début de réponse. Où est donc son fidèle compagnon, Balto ? Et que lui réserve cet étrange lieu et ces mystérieux individus qui semblent la regarder avec autant de fascination que de méfiance ? Alors que la confusion enveloppe Risia, une sensation d'humiliation l'envahit peu à peu. Les larmes montent à ses yeux alors qu'elle se sent exposée, nue sous la couverture qu'elle tente de maintenir fermement autour d'elle. La sensation de vulnérabilité la submerge, renforçant son désarroi face à cette situation inattendue et déconcertante.

    Alors que la honte l'emprisonne, Risia fait plusieurs pas en arrière, cherchant désespérément un refuge derrière un terrain d'arbustes joufflus. Son regard se pose sur son flanc gauche, où une cicatrice lui rappelle la douleur atroce qu'elle a ressentie ; une douleur qui a mystérieusement disparu à son réveil, laissant uniquement cette marque témoignant de son épreuve passée. S'adossant contre un petit arbre, elle laisse son dos glisser le long du tronc jusqu'à ce que ses fesses touchent le sol humide de la forêt, épuisée par cet enchaînement d'événements.

    L'étranger réapparait alors, arborant un sourire rassurant, ses cheveux raides tressés en queue de cheval flottant sur son épaule. Avec une assurance nouvelle, il lui tend la main, une invitation à la confiance. Risia observe cette main tendue avec une certaine méfiance, mais aussi une pointe de curiosité. Peut-être est-il animé par la compassion ? Après un moment d'hésitation, elle croise le regard de l'étranger, et son sourire s'efface. Se retrouvant face à lui, assis au sol, il lui tend à nouveau la main, cette fois-ci feignant un air boudeur. Un sourire discret s'échappe des lèvres de Risia, adoucissant l'atmosphère tendue. Doucement, elle pose sa main sur la sienne, et il la relève avec précaution. Son regard s'élargit d'étonnement. Dans ses souvenirs d'enfance, elle a appris à se débrouiller seule. Personne ne s'est jamais porté à son secours. Chaque fois qu'elle chute, personne ne se penche pour la relever ; au contraire, on lui donne souvent des coups de pied pour l'inciter à se relever elle-même, mais elle finit souvent par rester au sol, seule et abandonnée.

    A présent, elle ressent une émotion nouvelle : la reconnaissance. Quelqu'un prête enfin attention à elle, lui offrant son aide avec bienveillance. C'est une sensation à la fois merveilleuse et accablante. Un mélange tumultueux de joie, de tristesse, et même de haine, s'empare de son cœur, menaçant de le submerger totalement. Elle a l'impression que son cœur allait exploser sous le poids de ces émotions contradictoires. À peine sur ses pieds, ses jambes flanchent, sa tête tourne violemment, et avant même qu'elle ne puisse comprendre ce qui lui arrive, elle perd connaissance, emportée par un sombre néant.

    **

     


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