-
Prologue
Dans les terres gelées d'une forêt sombre, où le vent glacial chuchote entre les sapins noirs, se niche un étang glacé d'une beauté saisissante. Sa surface glacée semble être un miroir géant reflétant les étoiles. Au milieu de ce paysage enchanteur, une petite créature, dotée de deux paires d'ailes délicates, glisse gracieusement parmi des jonquilles gelées. Ses cheveux en pétales de rose, son regard vif scrutant les environs, elle tremble de froid malgré la beauté qui l'entourait, totalement nue. Cherchant désespérément un refuge chaleureux, elle patine sur la surface gelée jusqu'à une falaise sombre.
Se hissant au sommet, elle est surprise par ce qu'elle découvrit. Un large chemin noir s'étend devant elle, émanant une odeur nauséabonde. Malgré le froid mordant, elle renifle curieusement, frottant ses bras d'une mélamine bleue pour se réchauffer, puis grimpe. Elle réalise bientôt qu'elle se tient sur une route façonnée par des êtres intelligents. Au moment où elle s'apprête à traverser cette voie goudronnée, un chat roux file à toute vitesse, suivi de près par une imposante machine tout-terrain rugissante des ténèbres, ses yeux luisants balayant le chemin. La créature, aux roues bombées, freine brusquement pour éviter le chat. Deux pieds chaussés de bottes sortent de la machine, s'arrêtant devant la petite personne ailée. Levant ses yeux sans pupilles vers l'homme qui en descend, elle appréhende ses prochaines actions. Elle attend, prête à agir.
─ Que fais-tu Robert ? crie une voix féminine de la voiture. Le petit minou est-il encore vivant ?
─ Il est parti, répond-t-il d'un ton agacé. Tu as fait tout ton cinéma, juste parce que j'allais écraser... un stupide animal.
─ Ne dis pas ça ! réplique la voix féminine.
L'humain contemple longuement la luciole, puis lève un pied pour l'écraser. Le petit animal bipède pousse un petit cri avant de rendre l'âme. Il relève le pied et observe le corps frêle de la luciole baignant dans une flaque rougeâtre. Elle succombe au froid mordant, son corps frêle incapable de résister.
La voix féminine demande ce qu'elle a bien pu entendre comme son. Et la réponse fut un simple, « Oh, rien. ». Derrière cette scène inattendue se cachent d'autres créatures dotées d'ailes qui tremblent de peur et de froid. Certaines sont enlacées et prient. Soudain, l'une d'entre elles, une toute petite femme toute bleue aux ailes tels des fils, brillant d'une lumière faible, s'avance prudemment vers la victime une fois que l'homme est parti. Elle pose son oreille droite sur la poitrine de la décédée et murmure des mots étrangers « Vaïs bonno ? ». Puis elle se lève et ouvre grand ses yeux de haine vers un grand mur. Nous sommes en décembre à Mulivia. La neige tombe doucement, drapant le pavé de blanc. C'est un jour de fête, entre mille lanternes illuminant le ciel étoilé, entremêlées avec les douces odeurs de barbe à papa flottant dans l'air. Les rituels anciens prennent vie, célébrant la mémoire d'un prophète. À l'extérieur de ce paisible village, dont la position géographique et le nom restent inconnus, la nuit est profonde. Les lumières scintillent parmi des centaines de pavillons, où les habitants dansent, boivent, mangent, rient, échangent des cadeaux et entonnent des chants festifs...
Un gros chien, noir et blanc aux poils mi-longs, aux allures d'un chien de berger, se faufile habilement à travers la foule animée, son museau constamment écrasé par des fesses dodues. Mais enfin, il s'échappe de ce tumulte pour se retrouver devant un vieil homme en blanc, ses lunettes étincelant sous la lueur des lampions, tandis que sa tête chauve reflète leur éclat. Avec un sourire radieux se détachant de sa peau noire comme l'ébène, l'homme caresse affectueusement le chien, révélant ainsi sa nature bienveillante. Ce personnage n'est autre que le docteur Stein, un médecin vénéré pour ses actes miraculeux, tels que le sauvetage d'un enfant aux prises avec un cancer du poumon dévastateur.
Puis, dans un air empreint de mystère, un homme à la peau mate d'une trentaine d'années, arborant une fière coupe taillée châtain, entame son entrée, sa pipe entre les dents et sa moustache soigneusement taillée. Revêtu d'un smoking aussi sombre que la nuit, il émane une aura d'élégance et de mystère. C'était M. Joyu, l'homme le plus fortuné du village, dont la réputation frôle la perfection. Derrière son masque d'apparat, se dissimule pourtant une facette cachée. Et il est accompagné de son épouse, d'une beauté froide et intrigante, au teint de porcelaine et des cheveux aussi brillants que l'or, repoussant toute tentative de séduction de la part des prétendants. Mais leur histoire ne s'arrête pas là, car un autre mystère plane : l'épouse est enceinte, ajoutant ainsi une nouvelle dimension à leur intrigue. Son mari la voit discuter avec une amie de famille, puis ajoute une réplique enjouée au docteur.
─ Voyez-vous, ma belle guêpe est enceinte ! Le ventre aussi rond qu'un ballon !
─ J'ai vu, j'ai vu ! répond le Dr. Stein avec un soupir teinté d'amusement.
Le chien, manifestant son enthousiasme, émet un aboiement bruyant. M. Joyu esquisse un sourire narquois aux lèvres.
─ Ah ! J'espère que notre enfant ne sera pas malade comme ce pauvre enfant cancéreux ! chuchote-t-il en désignant un enfant chauve à proximité.
─ Monsieur Joyu, ne dîtes jamais cela, réprimande fermement le docteur, avec un regard dur. Ne pointez pas du doigt quelqu'un qui n'a pas demandé que sa vie soit faite comme ça. Ou sinon vous le deviendrez à sa place !
─ Balivernes ! balbutie l'homme en haussant les épaules avec désinvolture. Je suis heureux, alors cela ne me regarde pas ! Je suis riche, j'ai une belle femme, j'aurais un bel enfant et je n'ai aucun problème dans la vie ! T'nez, t'nez, vous avez goûté le vin de grenadier ?
─ Soit. À juger la vie ainsi, il y a des chances qu'un malheur se retourne contre vous, M. Joyu du domaine des Halosimas. C'est comme l'expression « On récolte ce que l'on sème », conclut le docteur avec un regard empreint de sagesse tout en refusant le verre de vin proposé.
Avec un geste de résignation, le docteur part, mains dans les poches et dos courbé, disparaissant dans la foule. Le chien arrête de haleter, sans le quitter du regard. M. Joyu faillit rire, avec un visage d'incompréhension, se demandant si le docteur ne devient pas de plus en plus fou. Le chien, réagit. Il se met sur ses deux pattes avant sur le pantalon de soie, esquisse un mouvement amical en léchant le visage de l'homme. Celui-ci tente de le repousser de son pied.
Deux mois s'écoulent. Un mois et demi plus tard, une atmosphère de fête enveloppe le domaine des Joyu, célébrant la venue au monde de leur enfant tant attendu. Dans un coin du vaste jardin, un cercle d'enfants s'est formé autour de Madame Joyu, tenant dans ses bras leur petite merveille. Une adorable fillette d'une peau mielleuse, aux cheveux bruns et des yeux bleus étincelants et une bouche rappelant la forme du cœur ; elle captive l'attention de chacun. Elle semble être née d'un tonneau rempli d'amandes, ainsi que le conte avec tendresse MM. Joyu, évoquant l'amour qui avait préservé ce précieux bébé. Les enfants sont suspendus à ses paroles, poussant des exclamations émerveillées à chaque détail.
Cependant, parmi les convives, un invité inattendu se faufile. Le Dr. Stein, non convié mais curieux de découvrir le nouveau-né, s'approche en silence, esquissant un sourire malicieux. Un rire lui échappe, surprenant l'assemblée. Tous les regards convergent vers lui, surpris par son intrusion. Une lueur d'agacement traversa le regard de la mère, tandis que le docteur, prenant conscience de l'attention portée sur lui, tousse légèrement, puis adresse un timide bonjour. Dans sa main, un ballon de baudruche mécanique flotte gracieusement, égayant l'atmosphère comme une mini montgolfière.
─ Que faîtes-vous ici ?
─ Oh, je me suis laissé entraîner par l'animation, c'est tout...
─ Ne me prenez pas pour une imbécile. Vous savez très bien où vous êtes.
─ Je suis juste venu jeter un coup d'œil à votre petite merveille...
─ On ne vous pas invité.
─ Pourquoi ? Ai-je commis une faute impardonnable ?
Un silence pesant s'installe. MM. Joyu décide finalement de changer de sujet.
─ Ne venez pas briser les rêves de ces jeunes innocents ! Vous avez l'air de trouver ça amusant.
─ Moi, briser les rêves ? Jamais ! Je suis là pour aider les gens à retrouver espoir et non à les briser !
- Vous croyez tout savoir et être le plus intelligent, vous voulez dominer mon mari. Cela fait un mois qu'il est inquiet pour la santé de notre fille, depuis ce que vous lui avez répondu à propos des enfants cancéreux. Tiens, là, ils sont juste devant toi.
Les regards des enfants du groupe sont toujours rivés sur le docteur. Une fille, qui est amputée d'un bras, ajoute :
- Docteur, dîtes-nous si ce qu'elle dit est vrai !
- Et bien, mon enfant, non, assure-t-il après une grande inspiration. Papa et maman dorment ensemble dans le lit et font un bébé.
- Comment on fait un bébé ?
- Ah ! Mes petits curieux ! rigole-t-il avec un brin de malice. Ce soir, vous pourrez venir me voir, je vous offrirai des bonbons à côté ! Mais nous ne parlerons pas de ça. Je vous montrerai comment fonctionne ma balle en métal !
- Oui ! Allons chez lui ce soir ! crient-ils en chœur.
Tous les enfants se lèvent, leurs visages illuminés par l'excitation et les conversations animées remplissant l'air. La petite fille se frayant un chemin à travers le groupe, arrive devant le docteur et l'enlace de son bras gauche avec un timide remerciement.
Pendant ce temps, la femme, désormais une jeune mère, observe la scène avec colère, avant de se lever pour rejoindre son mari en pleine discussion avec une connaissance. Ils échangent longuement, jetant de temps à autre un regard chargé de sens vers le docteur.
─ D'accord, laissons-le pour le moment. On le reverra quand le destin décidera, conclut le trentenaire d'un ton résolu.
**
Environ trois ans plus tard, les Joyeux, toujours aussi heureux, décident d'organiser une grande fête pour célébrer l'anniversaire de leur fille. Certains convives commencent à se demander si ce couple ne vit que pour les festivités. Des confettis colorés tournoient dans l'air au sein de la cour fleurie du domaine. Une petite fille brune, le visage illuminé par le bonheur, se précipite vers une femme.
La jeune mère est vêtue d'une longue robe rose en soie, ses cheveux châtains sont soigneusement coiffés en une élégante torsade rappelant une fleur épanouie. Avec un sourire radieux, elle se baisse doucement, tendant les bras vers sa fille, prête à l'enlacer chaleureusement. La petite, d'un sourire espiègle, se précipite dans les bras tendus de sa mère, offrant sa propre étreinte avec enthousiasme. Puis vient le tour du père, qui s'avance avec une tendresse palpable. Revêtu d'un costume marron, agrémenté d'un nœud papillon à pois, ses cheveux bruns soigneusement coiffés en arrière, il se joint à l'étreinte, enveloppant ses deux amours dans ses bras. Elle blottit son petit nez rond contre l'épaule paternelle, sent la douceur de la moustache bien entretenue de son père effleurer sa joue. Relâchant finalement son étreinte, le père affiche un sourire chaleureux et adresse ses vœux d'anniversaire à sa précieuse fille.
─ Bon anniversaire, mon ange !
- Pa... Mer..., tente de prononcer la jeune fille.
Le père fronce les sourcils, tandis que la mère affiche une expression soucieuse. L'enfant les observe avec étonnement, incapable de comprendre leurs paroles. Le son semble vibrer dans l'air autour d'elle, mais ses oreilles ne captent aucun son. Elle discerne à peine les mouvements de leurs lèvres, cherchant désespérément à déchiffrer les mots silencieux. Une étrange sensation l'envahit alors, comme si ses oreilles ont soudainement disparu, laissant place à un vide oppressant. Dans ce tourbillon de confusion, une multitude de visages inconnus semble l'ignorer complètement. Des enfants de son âge dansent joyeusement, leurs rires résonnent à travers le jardin verdoyant et parfumé.
─ Mon enfant, comprends-tu ce que je te dis ?, interroge la mère, cherchant une réponse de sa fille.
Celle-ci ne répond pas. Ses sourcils sont toujours froncés, et ses yeux bleu clair s'agitent de gauche à droite, cherchant désespérément une réponse à son malaise. Elle se tapote le front, comme pour chasser une idée étrange de son esprit. Puis, sans un mot, elle se précipite vers la grande table où sont entassés les cadeaux des invités. Ses doigts fébriles déballent rapidement les paquets, laissant échapper un soupir de joie lorsqu'elle découvre la maison de poupée en or tant désirée. Son excitation est palpable alors qu'elle enlace tendrement le précieux jouet nouvellement acquis.
À mesure que la soirée avance, l'atmosphère de fête se dissipe peu à peu. Les hommes, imprégnés de vin, échangent des rires éclatants tandis que les femmes, fatiguées, se plaignent de leurs pieds endoloris après avoir porté des talons hauts toute la journée. Dans un coin du jardin, le gros chien Paul, libéré de sa niche, jappe joyeusement en voyant son maître rentrer au domaine, ravi de retrouver son maître au retour à la maison. Il saute dans tous les sens, exprimant sa joie de retrouver son compagnon. Cependant, l'accueil du père est loin d'être chaleureux. D'un geste brusque, il repousse l'animal en lui lançant un ordre sec. Pendant ce temps, la mère remarque l'expression troublée de sa fille qu'elle tient main dans la main. Elle lui demande doucement ce qui la dérange, mais les mots confus qui s'échappent des lèvres de la petite ne font qu'accroître son inquiétude.
─ Qu'as-tu, ma chérie ?
- Pa... Mé... Zan... Po...
- Oh, ma pauvre ! Je ne comprends pas ce que tu essayes de dire. Va te coucher, ma chérie. Nous irons chez le médecin demain. Il semblerait que tu aies des problèmes de communication.
- Mé...jant..., murmure la fillette, les larmes aux yeux.
La mère soupire lourdement alors qu'elles gravissent les majestueux escaliers, le père se retirant dans son bureau. À travers l'entrebâillement de la porte d'une pièce près des escaliers, la brune aperçoit un homme vêtu d'une grand-voile noir, se tenant aux côtés de son père. Un frisson lui parcoure l'échine alors qu'elle observe la scène, tirant sur le bras de sa mère dans une supplique silencieuse pour qu'elle s'arrête. Mais sa mère, le regard fixé devant elle, continue sa marche, la main tremblante.
Plus tard, alors qu'elle est confortablement installée dans son vaste lit rose orné de dentelle, la petite espiègle reçut un doux baiser sur le front de sa mère. Les poupées en porcelaine disposées autour d'elle semblent veiller silencieusement sur elle, tandis que les chiens en peluche semblent prêts à la protéger à tout moment.
─ Bonne nuit, dit-elle simplement, laissant une atmosphère pesante planer dans la pièce.
Aucun sourire n'accompagne les mots de sa mère. La petite fille attend, les yeux balayant la pièce tandis que sa mère quitte la chambre, refermant la porte derrière elle. La fillette se redresse lentement et quitte son lit avec une légère appréhension. Elle franchi le seuil de sa chambre et plonge dans l'obscurité du couloir. Seule la lueur faible provenant du bureau de son père, à quelques pas des escaliers, fend les ténèbres. Pas à pas, elle avance, ses pieds nus glissent sur le carrelage froid. Une brume de buée s'échappe de sa respiration, trahissant son anxiété grandissante.
─ Pa ? appelle-t-elle d'une voix fluette, empreinte de tremblements, alors qu'elle se rapproche du bureau.
L'homme lève brusquement la tête, ses yeux fixent sa fille avec une intensité effrayante. D'un geste impérieux, il pointe du doigt la direction de sa chambre, semblant lui ordonner de retourner dans son lit. Pétrifiée, elle reste sur place et espère que son père se calme. Soudain, l'homme semble remarquer quelque chose à sa gauche. Il sort précipitamment de son bureau en courant et manque de trébucher. Une ombre surgit alors devant la fille en ouvrant violemment la porte. Surprise, elle pousse un petit cri. C'est l'homme au voile noir. Bien qu'il lui parle, elle ne capte rien de ses paroles incompréhensibles. Tout à coup, sa mère arrive, visiblement effrayée et décoiffée, en tunique noble de nuit. Elle s'agenouille devant l'homme au voile puis s'accroche à lui, le suppliant d'une voix tremblante.
─ S'il vous plaît ! Tout, mais pas elle !
Un silence tendu enveloppe la pièce, puis le calme revient peu à peu. L'étranger se met à la hauteur de l'enfant et lui indique sa chambre d'un geste apaisant. Les parents se détendent, la mère s'affaissent sur le sol, visiblement épuisée. Le chérubin ravale sa salive, son cœur bat la chamade, avant de retourner en courant et en pleurs dans sa chambre.
**
Le lendemain, après un voyage long et éreintant, la famille emmène leur fille chez le médecin le plus renommé du continent, le célèbre docteur Stein lui-même, bien que leur aversion pour cet homme est palpable. « Quand le destin décidera », a dit le père deux ans auparavant, comme pour justifier cette visite. Après une attente interminable, ils franchissent enfin la porte du cabinet. Elle avance lentement, tandis que ses parents prennent place devant le docteur. Elle se met à observer les tapisseries qui ornent les murs, représentant des créatures fantastiques perchées sur des rochers escarpés. Intriguée par un reptile légèrement bleu caché derrière deux épées, elle tente de déchiffrer les lettres formant le nom Alëscsa, sans succès. Son regard se pose ensuite sur une image qui représente une femme rousse tendant un collier à une silhouette sombre et mystérieuse. Elle trouve la scène fascinante. S'approchant du bureau, elle remarque une statuette d'un homme chevauchant un reptile volant et tenant un bébé dans ses bras. Le docteur parle avec ses parents dans un silence pesant. Désireuse de se distraire, elle se met à trotter vers une petite bibliothèque et découvre des objets dangereux tels que des aiguilles et des couteaux, ainsi que des lunettes d'aviateur. Puis, elle réalise que ses pas ne résonnaient plus sur le parquet. Elle baisse la tête pour découvrir un tapis imposant illustrant une bataille historique, où des aigles géants à quatre pattes planent au-dessus de soldats en armure. C'est alors que le Dr. Stein s'approche d'elle et s'agenouille, lui adresse un sourire bienveillant avant de l'accompagner vers un petit lit, l'invitant à s'asseoir. De l'autre côté de la porte, le père observe avec méfiance.
─ Je vous avais bien dit de ne pas venir regarder, lance-t-il d'un ton sévère.
─ Qu'allez-vous faire à ma fille ? s'enquit le père avec inquiétude.
─ Retournez à votre place, ordonne le docteur d'une voix calme mais ferme.
MM. Joyu arrive et tire doucement le bras de son mari, le ramenant à la réalité. Celui-ci part après un bref coup d'œil dans la direction du cabinet du médecin.
─ Ces tapisseries sont terrifiantes. Que des batailles, des créatures ailées... Sont-ce des mythes ? s'interroge-t-il.
─ Chut, mon chéri, chuchote-t-elle.
Rien n'échappe aux oreilles cicatrisées et attentives du docteur. Il soupire.
─ Ce sont des légendes véritables. Elles viennent de chez moi, murmure-t-il à la jeune patiente avec un sourire rassurant, comme si elle pouvait le comprendre.
Il tend la main, toujours avec ce sourire apaisant, et une minuscule flamme verte crépite de sa paume comme par enchantement. La petite fille laisse presque pousser un cri de surprise, mais se retient, émerveillée. Après une brève auscultation dissimulée aux parents, le médecin, assis à son bureau, joins ses mains.
─ Votre fille est sourde.
Les parents sont bouche bée, incapables de réagir face à cette nouvelle. Leurs regards se posent sur leur progéniture, qui imite les gestes du docteur avec un stylo ou lorsqu'il ajuste ses lunettes. Le père, dans un geste de défense, plaque ses mains sur les accoudoirs de la chaise.
─ Ne dites pas de telles absurdités !
─ Non, non, non ! Ce n'est pas possible ! Pendant tout ce temps, nous avons été si gentils avec elle, nous avons fait semblant devant... panique la mère.
─ Il n'y a pas de doute. Votre fille est bel et bien sourde, mais avec une éducation adaptée, elle pourra apprendre à parler. Ses cordes vocales sont en bon état.
─ Si vous avez caché l'auscultation, cela relève de l'irresponsabilité ! s'exclame le père, sur la défensive.
─ Non, au contraire. Je craignais que vous m'en empêchiez. J'ai craint que vous vous inquiétiez pour un rien, répond le médecin.
─ Chéri, laisse, il essaie simplement de nous rassurer... conclut la mère.
Les parents se lèvent en même temps et délaissent le docteur Stein seul dans son cabinet, sans songer à payer ses services. Il observe la patiente qui se retourne plusieurs fois avant de disparaître derrière la porte.
─ J'espère que cette fille ira loin. Elle me rappelle tellement cette femme que j'ai vu la première fois... murmure-t-il pour lui-même.
La porte claque, le médecin est seul avec ses pensées. Après une longue marche, les parents entraînent leur fille dans un train en direction de la gare sale nommée File toi d'abord. Le train crachait d'énormes panaches de fumée noire alors qu'il s'éloigne du cabinet du docteur. Assise près de la fenêtre, la pupille regarde l'entrée du cabinet avec des regrets. Les parents ont décidé qu'à partir de ce jour, ils la traitent différemment.
-
Commentaires